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LE SYNDROME DE KIRUNA
21 avril 2010

Your text here # Clément GALLET

P1011909

Clément GALLET (France - né en 1982)

Your text here
Tirage à impression jet d'encre
Montage sur résine acrylique
2010

« Formé » en Suisse aux expérimentations sur la trame et les nuances typographiques, Clément Gallet  revient à ses premiers amours dans un projet étrange.
Spéculant sur le concept décalé de Word Art (Microsoft™®), il s’interroge via le terrain de l’attraction/répulsion, sur cet avatar idéologique.

Moquée, cette application qui se propose de permettre à n’importe quel utilisateur d’écrire un mot ou une phrase d’une « façon artistique » est devenue autant l’apanage des plus triviaux habillages commerciaux que l’outil d’un retournement de perspective.
Le modelé des mots a surpassé leur sens et n’est demeuré que la puissance de l’énoncé : le cri  du marchand sur sa promotion, le festif et spectaculaire écriteau de mariage (« Nicole & Thierry, au rond-point à droite »), libre à chacun d’y entrer ses mots pour leur donner une autre consistance.

Aujourd’hui dans un mouvement général de récupération, les graphistes s’en emparent et sous couvert d’auto-dérision et de second degré, la forme est repensée.
Anti-matière du graphisme, forme préétablie ad-vitam eternam, ce Word Art (Microsoft™®) est pourtant de plus en plus présent dans le graphisme contemporain.
Comme une douce subversion, il est utilisé pour ce qu’il a d’automatique et de référencé et pour la transgression qu’il incarne.

Clément Gallet sort la méthode W.A. de son cadre et en fait un objet précieux, une impression valorisée en elle-même. Il calque le modèle préconçu et lui donne chair en papier.
Attiré lui-même par cette forme rejetée, il déambule sur le fil indéfini qui sépare le bon du mauvais et se fiche de la distinction moralisante en sacralisant le graphisme impie, l’anti-modèle, la gousse d’ail repoussoir de toute une frange du graphisme occidental de Jan Tschichold à Max Bill.

C’est aussi la matière à une petite parabole qui nous est offerte, mais sur fond d’indignation:

La première moitié du XXe siècle avait vu consacrer l’hégémonie des « x-isme » de toutes espèces (expressionisme, fauvisme, cubisme), sa seconde partie a entériné, quant à elle, l’avènement des  « x Art » (pop art, op art, art conceptuel, art minimal, land art) lui préférant sans doute la façon consacrée de cadrer la chose en un secteur de l’activité humaine que d’aucuns croient séparé.
Si les circonvolutions des « x-ismes » avaient après guerre de lourds relents idéologiques et dogmatiques, il n’est pas interdit d’observer que sa substitution en une nomenclature « x Art » trahit un sens certain du péremptoire.

Ainsi dès qu’un auteur oeuvre dans un courant dénommé, le public peut, grâce à cette nomenclature, identifier sa création à son cadre et trouver rapidement l’assurance qu’il se trouve bien en présence d’Art !
L’art du dogme est venu affranchir les beaux esprits moraux de leur dogmatisme.

Depuis lors et dans un mouvement ininterrompu de l’effarement occidental, le moralisme le plus normatif est venu niveler les capacités d’observation et de mise en perspective de générations entières.
Elevés dans la conviction d’un ordre suprême de la création où la révolution de mai 68 et un flot progressiste infaillible avait « libéralisé » toute la vie, des « citoyens libre-penseurs » vénèrent aujourd’hui un sur-monde. Un monde fleuri, personnalisable, au-delà du monde matériel, un monde idolâtré et prétendument clairvoyant.

C’est pour nous un monde mental s’acclimatant trop facilement de cette absurde séparation tricéphale des activités humaines :
Travail(=besoin)/Loisirs(=divertissement)/Art (= sacré).
Un monde sans mémoire et sans capacité de projection voyant en toute chose une monosémie, un élément nettement lisible, réductible et identifiable. Le corollaire de cette incapacité à lire la vie.

C’est à ce niveau de l’histoire qu’entre à nouveau en jeu le Word Art (Microsoft™®), dernier-né, vous le comprenez, d’un flux de grande ascendance.
Sous ce nom, d’apparence badine, donné par ses créateurs à ce système prédéfini d’« écriture artistique », ce qui est esquissé est un véritable programme.

Si d’aucuns croyaient encore que la valeur du mot était dans sa signification, son utilisation, sa stylisation, son dessin ou sa sonorité, ils n’avaient pas compris que c’est dorénavant potentiellement la stricte apparence formelle d’un mot qui serait capable de lui donner en priorité sa vraie dimension!
Le Word art devrait légitimer chacun dans un champ où nos émotions auparavant si difficiles à exprimer trouvent « un allié sincère et direct », une plastique préconçue apte à exprimer davantage le sens du mot…que le mot lui même, une conceptualisation de concept !

Dans une société où l’accent est mis sur la sphère de l’apparence, ce programme sonne comme une triste consécration et ses promoteurs doivent espérer que sous l’automatisme formel disparaisse, comme un soulagement, la complexité de nos visions, pollution déjà oubliée du petit univers perméable des consciences d’un autre temps.
Ouf ! (soulagement)

 

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