Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE SYNDROME DE KIRUNA
21 avril 2010

Urbanisme naturel # César CANET

 

 

 

P1011895

César CANET (France - né en 1982)

Urbanisme naturel
Plan
150 x 150 cm
2009 - 2010.

Kiruna est la ville autophage, la ville au développement contraint, à l’exploitation condamnatrice.
Celle plannifiée par César Canet est une ville extensible infinie.
C’est un plan, le plan d’une unité de ville reproductible par accolement.

César Canet imagine une ville sous la lecture d’une contrainte imposée et cachée.
Avec le profit et la globalisation systémique comme principes fondateurs, il imagine une cité à la logique biaisée. Sous le charme de sa structure unitaire rationalisée et enveloppante elle semble exister, mais étendue, elle révèle son embrigadement incontrôlable.
Urbanisme naturel est une ville-unicellulaire à mitose programmée où la molécule/réseau étendue se révèle contaminée par l’expérience et trahit le sombre motif d’un effarement spectaculaire.

Sous l’assertion lumineuse et démembrée du plan, se dissimule sournoisement une logique décadente, la ville existe comme un plan dégénérescent, mais qui s’énonce comme le meilleur.

« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux » (2)  ou comment la tentaculaire vision d’une structure urbaine peut dissimuler, sous les fards de sa rationalité, la source même de son échec latent.
Dans la croissance promise et due des années 1970, la politique du Président Giscard d’Estaing (3) voulût dresser une « France de propriétaires ».
Puisqu’un peu moins de deux cents ans avant on avait ériger la propriété en valeur de prestige, il convenait de faire de ce pays riche de traditions, vitrine d’un art de vivre « à la française » le modèle d’un nouveau genre.
Il convenait surtout de faire oublier les difficultés fâcheuses et autres désastres de l’urbanisation périphérique des années d’après-guerre qui, dans un élan post-corbuséen mal digéré avait empli nos campagnes et autres villégiatures des citadins en zones d’habitats sociaux ou « cages à lapins» qui devaient sceller pour longtemps l’absence d’ambition de ses promoteurs et la courte vue de nos institutions politiques.

Alors, sur un modèle sourd et univoque issu des quartiers résidentiels d’outre-atlantique, cette France « moderne », « en croissance », partit à la colonisation de ces zones péri-urbaines où devait s’installer ce monde d’entrepreneurs, de propriétaires et accueillir ceux qui comptent !

L’homme moderne escompté se devait de renouer avec la nature dans un cadre approprié, respectueux des bases traditionnelles pour ériger une vie moderne.
Rejetant la responsabilité de l’érection des zones que trente ans plus tard on aimerait à qualifier de « quartiers », et jouant de l’amnésie massive, on s’attela à établir un programme pseudo-critique de l’habitat collectif mis dans un sac commun et on fit de la forme pavillonnaire l’incarnation du rêve foncier et l’outil indispensable d’une émancipation individuelle.

Aujourd’hui, ces banlieues-dortoir, îles dans les villes, sont une métamorphose d’une douloureuse désocialisation, d’une fatale abdication de l’urbanisme à permettre la perméabilité des milieux, des activités, à se faire le terrain de jeu et d’expression d’une humanité habitante.

N’en déplaise à l’arrogance du programme toponymique de l’Allée de l’Emancipation à Pavillon-sous-bois (93320) le constat est celui d’un habitat individualisé, fragmenté, éparpillé. Sous couvert d’une modernité aveuglante grâce à laquelle l’homme néo-rousseauiste devait se reconnecter à la nature nourricière, on récolte le fatras d’une planification qui s’ignore, à l’encontre des contacts humains, des échanges sociaux.
On fait l’inventaire d’une machine inverse au sens de la cité, « l’ individualitarisme » est de mise et le diktat de l’auto-aliénation règne discrètement.
L’expérience urbaine à fait place à la triste pacification sociale passant davantage par la stricte mise à distance de l’autre, la compétition de pelouses tondues et l’homogénéisation galopante des pratiques.

Comme la Cité du soleil de Campanella, ou Utopia de More (4), le plan de César Canet est une ville-réseau, une ville « parfaite » qui se joue de toutes les variables. Elle s’impose et dépasse les contraintes apparentes. Elle semble se jouer des obstacles. Ce lieu qui n’est pas (utopia) mais qui prétend être, est l’énoncé ostentatoire de la croyance en une idéale intégration de l’homme dans son milieu.
L’homme colonise son cadre, il structure ses circulations, il use d’une toponymie qui énonce ses vertus et invente la ville-programme.

Dans cet Urbanisme naturel tous doivent jouir d’une sécurité, d’une liberté, d’une autonomisation raisonnée. Chaque parcelle s’individualise, laisse libre cours à son échelle dans une apparente variété qui dissimule sa gangrène. Ainsi isolées, les parcelles ne permettent pas la connexion, la mise en jeu des interactions urbaines et ruinent l’espoir légitime de l’expérience sociale.

Ici, sous couvert de mixité, on inaugure le mixeur d’une mélasse informe et insensée.
Le calibrage de toutes les relations humaines à l’échelle du plan fige les possibles et contrôle le cœur même de l’expérience. Entendez de la sociabilité urbaine ou de l’urbanité sociale…peu importe.
Si ces cités utopiques veulent irradier de lumière le monde, si certains plans auto-centrés et rayonnants laissent présager symboliquement des attentes « extensionnistes » de leurs inventeurs, si des parois de cristal doivent fournir la vitrine à un monde possible, reste à déterminer qui est le plus conditionné, l’isolé des autres.
Dans ce rapport fondamental à autrui, reste en effet à saisir qui est le fou du clairvoyant.

L’Urbanisme naturel est l’illusion même d’une évolution qui se veut universelle mais qui ne s’autorise qu’à viser la multiplication illimitée du même modèle.
C’est l’Eden perdu, la conquête de la vie par l’ordre. L’instauration d’un système raisonnable dans la nature irraisonnée, la triste inconsistance de l’humain borné à se contraindre, à riposter contre le bouillonnement désordonné et vivant de la nature.
Un système qui cherche l’union artificielle du passé, du présent et de l’avenir, qui se veut mémoire et sujet de son existence quitte à se perdre dans ses désirs démiurgiques.

2.In La société du spectacle, G. Debord, Buchet-Chastel, 1967, n° 9.
3.C’est justement à une formule de V.G.E. que César Canet emprunte le titre antinomique de son projet.
4.La Cité du soleil (Civitas Solis), T. Campanella, vers 1602 & Utopie (Utopia), T. More, vers 1516.

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
LE SYNDROME DE KIRUNA
  • LE SYNDROME DE KIRUNA n’est pas une exposition d’art, d’architecture, de géographie ou de design. C’est une incursion dans la difficile mise en perspective de nos existences à l’échelle du monde. Un moyen. C’est, comme devrait l’être toute création, la s
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité